L’affaire du « Martien » de Prémanon : construction et déconstruction d’un fait divers

27 septembre 2024 | Études de cas

Par : © Yves Bosson & Jean-Pierre Rospars
L’affaire du « Martien » de Prémanon : construction et déconstruction d’un fait divers

« Avec le recul du temps, je pense avoir vécu une expérience intéressante.
Une des leçons, c’est de voir comment une information peut être déformée. Ce qui me laisse quelquefois sceptique par rapport à ce que je lis et je vois : c’est comment, à partir de rien du tout, on peut créer une légende. C’est intéressant de l’avoir vécu soi-même. Je pense qu’il faut l’avoir vécu soi-même pour le croire. »
Raymond Romand (1991)

Nous sommes en 1991, au sein d’une université française. L’homme qui accepte de nous parler est un neurobiologiste de réputation internationale, auteur de plus d’une centaine d’articles scientifiques destinés à des publications à comité de lecture. En 1954, alors âgé de 12 ans, il s’est retrouvé à l’origine d’une improbable actualité qui l’aura profondément marqué, lui et sa famille de paysans haut-jurassiens. C’est de ce fait divers dont il va être ici question, afin de tenter d’en comprendre les tenants et les aboutissants.

Automne 1954 : l’affaire et son contexte

Le résumé impossible

L’histoire commence le lundi 27 septembre 1954. Elle va mettre subitement sur le devant de la scène médiatique quatre jeunes enfants habitant une ferme isolée de la combe du mont Fier, un sommet jurassien à 3 km du village de Prémanon, proche de la frontière suisse.

S’en tenir aux seules sources primaires – les deux rapports de gendarmerie et la trentaine d’articles de presse des quinze premiers jours (entièrement ou principalement consacrés à cette affaire) – ne permet pas d’en proposer un résumé type, tant ces diverses relations constituent en réalité des versions parfois fort différentes les unes des autres. Aussi, le résumé que nous proposons est une version composite, empruntant aux deux premiers textes jamais rédigés (tous deux au soir du mercredi 29 septembre). Il s’agit d’une part du rapport de la brigade de gendarmerie de Saint-Claude [1] daté du même jour (ici « entre guillemets ») et d’autre part de l’article de presse des Dernières dépêches–La Franche-Comté républicaine [2] paru le jeudi 30 (ici en italique).


LES AUTEURS

Yves Bosson est auteur-photographe et iconographe. Après avoir mené des enquêtes de terrain et édité livres et revues dans le domaine de l’ufologie, il dirige aujourd’hui la photothèque Agence Martienne, spécialisée dans les représentations liées à l’imaginaire scientifique, la science-fiction populaire et les anomalies parascientifiques. Il est également co-auteur du Dictionnaire visuel des mondes extraterrestres (Flammarion, 2010).

Jean-Pierre Rospars est chercheur scientifique. Il est l’auteur d’une centaine d’articles dans des revues à comité de lecture et ouvrages spécialisés en neurobiologie. Il poursuit des recherches en biologie de l’évolution, exobiologie, neuropsychologie, parapsychologie et ufologie. Il est expert pour le Groupe d’Étude et d’Information des Phénomènes Aérospatiaux Non identifiés (GEIPAN) du CNES et membre du Comité directeur de la fondation Institut Métapsychique International.


Il était 20 h 30 ce soir-là, alors qu’il pleut à seaux, Raymond 12 ans, sortit de la ferme familiale en entendant le chien japper. C’est alors que, soudain, il se retrouva face à « un engin étrange d’apparence métallique, de couleur aluminium, de forme rectangulaire, mesurant approximativement deux mètres de haut sur un mètre de large ». Le mystérieux appareil argenté brillait à la lumière des lampes de la ferme. Effrayé, le gosse rentra. Mais la curiosité fut la plus forte. Il ressortit. « À l’approche de cet engin qui s’avançait et paraissait glisser lentement, le garçonnet se serait saisi d’une pierre qu’il aurait lancée dans sa direction. Le choc aurait produit un son métallique. À l’aide d’un pistolet Eurêka dont il était muni, l’enfant aurait tiré une flèche qui aurait émis un son identique au précédent. » L’engin continua à progresser et le souffle coucha le jeune Raymond qui terrorisé cette fois, s’enfuit dans sa chambre. Sa jeune sœur, Janine âgée de 9 ans, avait, elle aussi aperçu ce genre de robot sur le seuil de la porte.

Chacune des deux sources fournit ensuite des détails spécifiques (mais complémentaires une fois le récit fixé) : si les gendarmes rapportent qu’une « lueur rouge se balançant au ras du sol à environ 100 mètres » a été vue par les « deux jeunes sœurs », ils ne mentionnent pas les indices matériels, pourtant découverts par leurs soins sur le terrain. C’est le journaliste qui s’en charge : à l’endroit indiqué par [Raymond], les gendarmes relevèrent de vagues traces. Mais il pleut depuis 36 heures et celles-ci sont très indistinctes. On comprendra plus tard que ces traces se situent précisément dans le prolongement de la lueur rouge, elle-même mentionnée par les gendarmes mais absente du récit journalistique…

Si le quotidien propose ensuite une forme de synthèse qui fera sens plus tard : “Nous avons vu des fantômes hier soir”, racontèrent les gosses le lendemain à l’école, car ils n’avaient jamais entendu parler de “soucoupes”, les gendarmes précisent encore pour leur part que les parents « n’ont pas voulu accorder le moindre crédit [à leurs enfants] et n’ont pas cherché à se rendre compte. Ils désirent que leur nom ne soit pas révélé. La publicité de cet événement a pour origine le récit que les enfants en ont fait à leur institutrice qui semble avoir ajouté foi à leurs dires ».

Pour les auteurs de ces deux premiers textes, il y a identité entre le véhicule et son occupant. Très vite en effet, il apparaîtra à la lumière des articles de presse des jours suivants que les termes utilisés ici pour qualifier le premier (appareil argenté, engin) se rapportent en fait au second. À ce stade, la différenciation entre soucoupe et Martien reste encore à faire. Or, la grille de lecture permettant cette distinction est fournie par l’actualité du temps, à savoir les récits de soucoupes volantes qui depuis trois semaines étonnent et divertissent les lecteurs des journaux. Quittons donc un instant le Haut-Jura pour mieux y revenir par la suite, après la consultation de la presse de l’époque.

La vague de soucoupes volantes de 1954 : le « contexte martien »

Nées aux États-Unis et baptisées flying saucers par la presse américaine du 25 juin 1947, les soucoupes volantes traversent l’Atlantique et survolent le Vieux continent où les journaux prennent le relais. Jusqu’au Canard enchaîné du 9 juillet 1947, lequel titre en « une » : « Le mystère des soucoupes volantes demeure impénétrable ». Les premiers ouvrages spécialisés datent de 1950. Ouranos, un réseau privé d’enquêteurs bénévoles se met en place. Les premiers livres d’auteurs français sortent en 1954, signés de l’écrivain de science-fiction Jimmy Guieu [3] et du journaliste scientifique Aimé Michel [4]. À peine figurent-ils sur les étals des libraires qu’une exceptionnelle vague de soucoupes déferle sur la France ; on dénombre jusqu’à 60 observations quotidiennes – et sans doute plus encore d’articles de presse. C’est l’« automne fantastique», au cours duquel les soucoupes ne se contentent plus de survoler l’Hexagone, elles atterrissent dans les champs ou sur les voies ferrées ; étrange mélange de ruralité et de science-fiction.

Le cas le plus emblématique de la vague est celui de Quarouble (Nord) : le 10 septembre, un ouvrier du nom de Marius Dewilde aperçoit une soucoupe sur la voie ferrée proche de chez lui et se retrouve confronté à deux petits êtres d’environ un mètre de haut, « coiffés de casques en matière translucide ». Il tente de se saisir de l’un d’eux, mais se retrouve paralysé par un rayon émanant de la soucoupe. Il perçoit alors un bruit évoquant la fermeture d’une porte à glissière, le rayon s’éteint, la soucoupe s’envole et disparaît. Selon Le Parisien libéré du 13/10, « la police, la gendarmerie de l’Air et la DST ont fait divers prélèvements ». Des traces sont découvertes sur les traverses. Dans Les Apparitions de Martiens (Fayard, 1963), Michel Carrouges, auteur connu pour ses travaux sur le surréalisme, relève l’importance de l’affaire : « L’incident Dewilde est le plus célèbre. C’est lui qui le premier a effectivement lancé la notion des petits scaphandriers ».

En ce début de vague, la couverture médiatique de cette affaire est exceptionnelle, tant en France qu’à l’étranger, jusqu’à un reportage des actualités Pathé. Alors que La Guerre des Mondes, le film de Byron Haskin, vient d’être projeté dans la région (comme à Valenciennes, le 4 septembre), des centaines de curieux vont affluer à Quarouble… passant ainsi de la fiction à la réalité ! Devenus un phénomène de société, soucoupes et Martiens sont partout : des affiches de la Loterie nationale, jusqu’aux boites de camembert, en passant par les réclames de Perrier !

De la naissance du fait divers à son développement

Mais revenons dans le Haut-Jura où les événements s’enchaînent de la fin septembre à la mi-octobre 1954.

L’enquête des gendarmes de Saint-Claude et des Rousses

Selon toute vraisemblance, l’article des Dernières dépêches–La Franche-Comté républicaine du jeudi 30 ne laisse pas les gendarmes indifférents : « En raison de certaines informations de presse plus ou moins exactes, le Commandant de Section [la brigade de Saint-Claude] a cru devoir procéder à une nouvelle enquête sur l’engin mystérieux qui aurait été vu le 27 septembre 1954 par les enfants d’une ferme de Prémanon (Jura). » C’est ainsi que le capitaine Brustel introduit le second rapport des gendarmes consacré à cette affaire [5], daté du lendemain, vendredi 1er octobre. Dans un récit où le passé composé se substitue au conditionnel du 1er rapport, il est cette fois-ci abondamment question des traces au sol : « Dans la direction où la lueur rouge a été vue se balançant au ras du sol, mais à une distance légèrement supérieure (200 mètres environ), on remarque sur le sol herbeux une large couronne dont les cercles extérieur et intérieur ont respectivement un diamètre de 3 m 50 et 2 m 50. Malgré les chutes abondantes de pluie de ces derniers jours et le piétinement des curieux, elle apparaît encore clairement et parfaitement dessinée. Sur sa surface entière, l’herbe est couchée et orientée dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Selon l’avis de premiers témoins sûrs, dont celui du prêtre de la paroisse, ce dessin ne peut pas être l’œuvre d’un objet courant ou du piétinement ordinaire de personnes ou d’animaux. Quatre trous, initialement très apparents et déterminant les angles d’un large trapèze à l’intérieur du grand cercle, se confondent maintenant avec les pistes de bovins. Ces traces, ajoutent les mêmes témoins, paraissent avoir été faites par des sortes de pieds portant à leur extrémité trois ergots disposés en triangle. » D’autres considérations tendent à accréditer la véracité du récit : « Bien que les parents persistent à croire ou à faire croire que le fond de l’affaire est inexact, les jeunes témoins restent affirmatifs. Un scénario ne saurait être a priori si bien monté s’il était simplement le fruit de l’imagination de ces jeunes enfants qui, par ailleurs, ne varient pas dans leurs déclarations ».

À l’instar du 1er rapport, le second restera inconnu du public pendant un quart de siècle. Nous allons voir que seules quelques informations diffuseront de manière sélective par voie de presse, grâce aux liens tissés par les journalistes locaux avec la brigade de Saint-Claude et celle des Rousses, la plus proche de Prémanon.    

Au jour le jour, les premières enquêtes et réactions de la presse

Une lecture chronologique des articles de journaux va maintenant nous permettre de comprendre comment le récit naissant évolue et se développe dans la presse.

Ce même 1er octobre, un article du Progrès [6] donne des précisions sur les traces repérées au sol, informations figurant dans le second rapport des gendarmes daté du même jour : « Avec Madame Genillon, institutrice au village, qui fut la première à connaître les confidences des enfants Romand, avec les gendarmes des Rousses, nous avons remarqué, à l’endroit précis où les quatre gosses avaient vu la boule de feu rouge, le terrain littéralement foulé, des colchiques aplatis comme à la presse, quatre trous résultant de l’enfoncement de quatre coins triangulaires ». Cet article est illustré d’une photographie [7] de Raymond et du mari de l’institutrice, posant, paternaliste, les deux mains sur l’épaule du jeune garçon.

Le Progrès fixe désormais clairement les diverses composantes du récit : « Donc il semblerait qu’à Prémanon un engin mystérieux ait atterri. La créature vivante aurait ressemblé à un parallélépipède rectangle (en somme un morceau de sucre ?) et la boule de feu rouge serait peut-être le véhicule interplanétaire. » Hésitante jusque-là, la différenciation entre passager et véhicule est en train de s’opérer alors que le rapport au ciel est introduit par la lueur, devenue « boule de feu » – pourtant uniquement décrite comme située en contrebas d’un pré. Désormais, tout y est : à peine quelques heures après le premier texte publié sur cette affaire dans Les Dernières dépêches de la veille, le récit, jusque-là informel et hésitant, cristallise soudainement. La simple lueur se transforme en véhicule interplanétaire, il est question d’atterrissage, le mystérieux appareil, robot ou fantôme devient une créature vivante, « passager de la soucoupe de Prémanon ». Mieux encore, le récit s’enrichit de nouveaux éléments : ce « quelque chose de froid » émis par la créature et qui pèse sur une épaule de Raymond avant qu’il ne tombe à terre, ou encore ces autres traces repérées cette fois-ci sur « un mât, le sapin dont l’écorce avait été arrachée sur 15 centimètres à 1 m 50 du sol » [8].

Ce même 1er octobre, cinq autres articles sortent encore dans la presse locale (Le Comtois [9]), régionale (L’Est républicain [10], Le Bien public [11], Le Dauphiné libéré [12]) et nationale (Le Parisien libéré [13]). Découvert par Julien Gonzalez au moment où nous écrivons ces lignes, l’article du Comtois – très éclairant sur les prémisses de l’histoire –, est une version non réduite de celui des Dernières dépêches paru la veille. Aucun Martien n’y est mentionné (autre que dans le titre) : ce qui sera le Martien est en même temps la soucoupe (dont il est ici précisé qu’elle est posée sur trois pieds). La cause du souffle est clairement expliquée : c’est parce que « l’appareil se mit en route si brutalement, que le déplacement d’air renversa le petit Raymond ». Un simple courant d’air qui deviendra selon les articles de presse ce « quelque chose de froid, impalpable et glacial » qui pèse sur l’épaule de l’enfant, cet « étrange radiation qui paralyse » ou encore le « baiser » du Martien !

Des trois autres papiers du lendemain samedi 2 octobre, Paris-Presse [14], L’Indépendant du Haut-Jura [15] (Morez) et Le Courrier [16] (Saint-Claude), c’est ce dernier qui retient notre attention. La nature aérienne du témoignage y est confirmée : « les trois enfants ont vu disparaître l’ “objet” qui s’éloigna dans le ciel en laissant derrière lui une lueur rougeâtre ». L’origine interplanétaire est même évoquée, avec un titre faisant référence aux Martiens. S’il ne s’appuie pas explicitement sur le 1er rapport de gendarmerie, l’article en fait néanmoins une discrète allusion [17] et en reprend certaines informations : Le Courrier cite la marque du pistolet pour enfant Eurêka, connue jusque-là des seuls gendarmes, et donne des informations concernant la fratrie : « Trois enfants – un garçon de 12 ans, une fillette de 8 et une autre de 4 ans », reprenant les diverses erreurs du rapport quant au nombre, à l’âge et à la confusion entre fille et garçon (il s’agit en réalité de 4 enfants – un garçon de 12 ans, une fillette de 9 ans, une autre de 8 ans et petit garçon de 4 ans). Une suite d’erreurs qui nous servira plus loin de marqueur…

« Ces enfants, poursuit Le Courrier, sont parfaitement normaux. Ils ne fréquentent pas les cinémas et ne lisent aucun journal pour enfant publiant des récits illustrés qui auraient pu influencer leur imagination. S’agirait-il d’une incursion d’habitants d’une autre planète ? Nous publions cette information avec toutes les réserves d’usage en insistant cependant [sur le fait] que les trois jeunes témoins, non encore influencés par certaines apparitions analogues, appartiennent à une famille honorablement connue qui désire garder l’anonymat et ne recherche par conséquent aucun effet publicitaire. »

Moins d’une semaine après l’événement, cette série de dix articles de presse parus en trois jours s’inscrit dans une première phase de réactions au jour le jour.

Retour sur place des journalistes et phase d’amplification

La seconde période dure une semaine. Il s’agit d’une phase d’approfondissement, lors de laquelle certains journalistes reviennent sur place, tandis que la presse internationale, puis les hebdomadaires, prennent le relais des quotidiens.

Le lundi 4, Le Progrès [18] revient sur l’affaire dans la page locale du Jura (Morez) avec une brève, aussi courte qu’importante. Le localier est retourné sur place : « À Prémanon, où les avis sont très partagés, l’histoire de la “soucoupe volante” de la semaine dernière continue à faire les frais de la conversation. À la maison des enfants qui ont “vu” l’engin, c’est maintenant la conspiration du silence, et tout est mis en œuvre pour dérouter les importuns, très nombreux, on le comprend, ces derniers jours. Cependant, ce qui reste mystérieux, c’est la trace, laissée à 150 m de la maison environ, qui revêt la forme d’une couronne dont l’herbe a été couchée dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Et, aujourd’hui comme hier, il est difficile de savoir si le jeune garçon a pu, ou non, imaginer une telle histoire ». Importante, puisque la mention de la couronne est absolument unique dans la littérature ; seul le second rapport des gendarmes la mentionne. Il ne fait par conséquent aucun doute qu’à l’instar de son confrère local du Courrier, le journaliste de la rédaction du Progrès à Saint-Claude a lui-aussi, sinon consulté les rapports, du moins échangé sur leur contenu avec les gendarmes de la brigade toute proche.

Ce même 4 octobre, le premier article de la presse étrangère sort dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel [19]. Toujours en Suisse romande, le Journal du Jura [20] et le Journal de Genève [21] du 5, suivi de L’Impartial [22] du 6 confirment l’intérêt déjà manifesté par la Radio suisse romande (Sottens) par la voix de son journaliste Louis-Albert Zbinden (1922-2009) en reportage à Prémanon pour le magazine d’information du soir « Le micro et la vie ». Toujours le 6, l’information est diffusée en Italie dans Milano Sera [23] puis le lendemain dans Corriere di Sicilia [24], de même que dans Egyptian Gazette [25].

Le 8 octobre, Semaine du monde [26] est le premier hebdomadaire national à traiter l’affaire. Il publie une photo du « mât dressé par une colonie de vacances [à] l’écorce arrachée sur 15 cm à une hauteur de 1 m 50 ».

Le samedi 9, une semaine après un premier article motivé par le 1er rapport de gendarmerie, Le Courrier [27] revient lui aussi sur l’affaire, cette fois-ci à la suite du second rapport. Il en reprend certains éléments, telle que la mention sur le pré d’ « une empreinte circulaire de 3 m 50 de diamètre, avec les marques de quatre pieds disposés comme les angles d’un trapèze ». Le journaliste de poursuivre : « Une visite sur les lieux, en présence de la gendarmerie et de M. Julien Prost, maire, nous a permis de constater : – l’obstination de la famille Romand à nier l’existence de tout phénomène, par crainte du ridicule ; – la conviction de l’institutrice et de son époux : le jeune Romand et ses deux sœurs ont vu quelque chose, indiscutablement, sans s’être concertés. Et ils ont vu des choses différentes (…) La position nuancée de M. l’abbé Barthelet le sympathique et toujours souriant curé de Prémanon qui fut pendant la guerre un grand résistant et n’est pas homme à s’en laisser conter : il ne croirait à rien sans cette empreinte. Il y a eu quelque chose, mais quoi ? ».

Le même jour, Le Journal de Dôle et de la région [28] donne la seule autre mention dans la presse du pistolet à flèches Eurêka, information obtenue cette fois-ci auprès de la section de gendarmerie des Rousses.

Toujours le 9, L’Est républicain [29] est le troisième titre de presse à revenir sur l’affaire. Livrant un texte long au style enlevé, à la fois documenté et poétique, le correspondant à Morez du journal manie volontiers titre à rallonge et sens de la formule : « victime d’un être étrange ressemblant à un énorme “morceau de sucre”, venu d’un autre monde, à l’aide d’un de ces mystérieux objets non identifiés, qui déferlent actuellement sur l’Europe, un Jurassien de 12 ans aura-t-il été le héros de la première bataille interplanétaire ? (…) ». Le journaliste se rend sur les lieux, décrit la situation sur place « après que des dizaines de voitures étaient passées dans le sentier perclus de rocailles », l’enfant qui s’enfuit à sa vue, des parents qui se lassent de cette histoire. Le lecteur assiste à une scène revisitée dans laquelle les enfants sont cette fois-ci très correctement mentionnés : « Dans la grange, Raymond, 12 ans, Janine, 9 ans, Ghislaine, 8 ans et Claude, 4 ans organisaient un grand jeu. Ils allaient en vivre un autre. (…) Un aboiement de chien. Un rire d’enfant. Raymond sort sur le pas de la porte de la grange dans laquelle Janine, Ghislaine et Claude se cherchent une bonne cachette. Gendarme et voleurs… Raymond qui est armé d’un pistolet à flèches sera le représentant de l’ordre. Il attendra quelques minutes dehors, et puis, grâce à son flair… (…) Un petit doigt nerveux qui presse sur une gâchette de pistolet pour gosse. Une fraction de seconde durant laquelle un cœur bat à un rythme fou. Et puis un choc qui produit un son métallique ». À l’exception de la marque Eurêka et de la mention de la couronne dans l’herbe, le récit est très complet, les traces parfaitement décrites, jusqu’à l’indication du sens anti horaire de l’herbe foulée. Conclusion : « Quant au grand parallélépipède aperçu par Raymond et Janine, il est permis de supposer qu’il était le passager de l’engin mystérieux. Et, petite histoire de la grande Histoire, peut-être ignorera-t-on toujours qu’une poignée de cailloux et un pistolet à flèches auront été les armes de la première bataille interplanétaire dont l’unique soldat était un garçonnet de 12 ans… ».

Dimanche 10, c’est au tour de l’hebdomadaire Radar [30] de livrer son reportage (ou plutôt celui de l’agence de presse Coordination [31]) : un récit composé de trois photographies, unique témoignage visuel des lieux avec la ferme familiale et les traces sur le pré représentées par l’emplacement de fanions, un gros plan du mât et le portrait de Raymond, se tenant debout face au capitaine Brustel. Une description : « Une boule de couleur si vive qu’elle fait penser à un métal incandescent », une confirmation : « Les passagers (…) ressemblent exactement à un morceau de sucre géant », et une comparaison, non sans fondement d’ailleurs, faisant référence au souffle qui coucha l’enfant : « Comme les visiteurs de Dewilde, dans le Nord, [les passagers] sont capables d’émettre une étrange radiation qui paralyse ».

Enfin, nous terminerons notre revue de presse avec Ici Paris [32] du lundi 11 octobre. À l’instar du papier de l’Est républicain, il s’agit d’un récit long format, au style documentaire où affleure la poésie, l’appétence pour titres à rallonge et bonnes formules (« c’est aussi une fable à laquelle La Fontaine n’avait pas songé : “Raymond et la Soucoupe volante” »). Contrairement aux autres comptes rendus, l’envoyé spécial à Morez est peu disert sur le début de la relation ; en revanche profusions de détails sont fournis sur la seconde partie et la fin de la rencontre, de même que sur les suites, l’enquête, les traces, le contexte social et familial : « (…) Sur le seuil de la porte, avant de sauter la marche, il s’arrêta, médusé (…) Cela a commencé par le baiser le plus étonnant du monde. La forme parallélépipédique s’est avancée et a entouré les épaules du gamin avec douceur. Puis ce qui lui servait de tête – et qu’on ne distinguait pas dans l’ombre – s’est approché de la joue de l’enfant. Raymond a senti quelque chose de froid. Il tomba à terre. Il se releva, et tenta de crier, sans succès. » (…) « Deux enfants avaient réussi à mettre en fuite un Martien ! Le voyageur interplanétaire regagna sa soucoupe, qu’il avait laissé dans un champ, à proximité d’une colonie de vacances désaffectée. » (…)

« L’opération “Martien” fut adroitement conduite par le capitaine de gendarmerie lui-même, M. Brustel. Les quatre enfants furent entendus séparément, et longuement. Une reconstitution fut opérée, tant dans la cour de la ferme, qu’à l’endroit où s’était posé le véhicule interplanétaire. (…) C’est là qu’on retrouva, le lendemain, le terrain littéralement foulé, des colchiques aplatis, quatre trous résultant de l’enfoncement de quatre coins triangulaires, un mât éraflé et un sapin dont l’écorce avait été arrachée sur quinze centimètres à 1 m. 50 du sol. » (…)

 « Il n’empêche qu’un Martien est entré dans la vie de Raymond, en semant le trouble au sein de sa famille, du village de Prémanon, mobilisant les gendarmes de Saint-Claude et des Rousses. (…) Que de contradictions dans tout ceci, qui aurait peut-être dû rester un merveilleux conte de fées à l’usage des temps modernes. Le petit héros après avoir essuyé le baiser d’un Martien qu’il réussit à faire battre en retraite, s’est fait corriger par ses parents. (…) Pour l’arracher au mal, Mme Romand a décidé de lui infliger de petites privations. Interdiction de sortir, suppression de dessert. Ce petit Galilée sera maté. – Je l’ai vu quand même, s’exclame le garçonnet. – Le grand mal, voyez-vous, a dit Mme Romand, c’est que l’enfant n’ait rien voulu nous dire. Il est allé le raconter à sa maitresse, au lieu de faire confiance à ses parents. » Toute l’histoire est sèchement démentie par la mère en à peine quelques mots : « D’ailleurs, le soir du Martien, il n’est pas sorti [de la ferme] ! ».

Cette séquence est encore prolongée par l’hebdomadaire belge Germinal [33], reprenant le 17/10 le contenu de Radar/Coordination, puis enfin par une lettre de lecteur [34] de Paris-Match du 23/10.

Analyse de la presse locale, régionale, nationale et internationale

Pour essayer de mieux comprendre la manière dont le récit s’est transformé puis s’est déployé en France et à l’étranger, il nous faut désormais mettre en évidence les relations entre les divers titres de presse. Cependant, à une époque où l’on ne se souciait guère des droits d’auteurs (la loi sur la propriété littéraire et artistique date de 1957), pratiquement aucun article ni aucune photographie issus du corpus que nous avons constitué sur cette affaire n’est signé ou sourcé (car tel était alors l’usage). À défaut de crédits, et afin de pointer les relations entre journaux, nous nous baserons d’une part sur les informations concernant le correspondant du journal [entre crochets lorsqu’elles sont indiquées dans l’article] et, d’autre part, sur une analyse de contenu.

Premier constat : Le Parisien Libéré [« Dijon, 30 septembre (de notre corr. part.) »] et Le Dauphiné Libéré [« Dijon, 30 septembre »] du 1er octobre, de même que Paris-Presse du lendemain sont basés sur l’article princeps des Dernières dépêches du 30/09. À Morez, L’Indépendant du Haut-Jura du 2/10 est le seul à indiquer l’emprunt avec la reprise de « l’histoire émanant des Rousses et relatée par notre grand confrère Les Dernières Dépêches ». Ces quatre papiers partagent un certain nombre d’informations, de caractéristiques et de structures de phrases signant le démarquage (par exemple, les conditions météo sont indiquées de la même manière, les enfants sont toujours au nombre de deux, etc.). Conclusion : l’article des Dernières Dépêches est à l’origine de la plupart des premiers articles de la presse régionale et nationale pour la période allant jusqu’au 2 octobre.

À l’exception toutefois de L’Est républicain [« Morez (De notre correspondant) »] et du Bien public [« Morez – (C.P.) »], tous les deux du 1/10, publiant deux versions à peine réécrite d’un même texte original. De ce second constat, nous concluons que le « Correspondant Particulier » de Morez pigeait pour différents titres, une pratique commune dans la presse. Resterait à savoir si la liste est ici exhaustive.

Troisième constat : on a vu que les informations de source officielle (gendarmerie) ont été diffusées dans les titres de presse locaux, à savoir Le Courrier (des 2 et 9/10), Le Journal de Dôle et de la région (du 9/10) ou disposant d’une rédaction locale, cas de figure du Progrès (des 1 et 4/10). La conclusion s’impose d’elle-même : les contacts officieux traditionnellement développés et entretenus par les journalistes avec les gendarmes ont permis à la presse locale de se montrer particulièrement efficace dans la couverture et le suivi de cette affaire. En revanche, par le fait même qu’elle soit locale, cette même presse, redécouverte en 2023 et 2024 dans le cadre de notre enquête, est restée totalement inconnue des spécialistes pendant 70 ans.

Le quatrième constat concerne la presse étrangère. La Feuille d’Avis de Neuchâtel [« (c) » pour correspondance] du 4/10 reprend pratiquement mot pour mot les informations du Courrier du 2/10 ; on y retrouve par exemple l’indication selon laquelle les déclarations des témoins ont « été enregistrées avec le plus grand sérieux et transmises comme il se doit aux autorités compétentes ». Le Journal du Jura du 5/10 n’est autre qu’un copié-collé, non pas du Courrier, mais de l’article du journal neuchâtelois, crédité de ses initiales « F. d’.A N. ». Pour sa part, le Journal de Genève [« (De notre correspondant à St-Claude) »] du même jour se réfère implicitement au Courrier, alors que l’information de L’Impartial du lendemain est un repiquage pur et simple, sans aucune indication d’origine. Plus étonnant encore, les journaux transalpins – Milano Sera [« Ginevra, 6 ottobre »] puis Corriere di Sicilia [« S. Claude, 6. »] du lendemain – situent Prémanon en Suisse, ce qui en fait une reprise probable du Journal de Genève. Enfin, plus sérieuse, Egyptian Gazette crédite l’ANSA (Agenzia Nazionale Stampa Associata), l’agence de presse italienne. Conclusion : l’article du Courrier du 2/10 est directement ou indirectement à l’origine de tous les articles parus à l’étranger. Soit sans doute même davantage que les sept articles recensés, puisque la dépêche de l’ANSA – elle-même indirectement basée sur l’article du Courrier –, a bien été diffusée à l’international. Alors que le second rapport de gendarmerie était motivé par « certaines informations de presse plus ou moins exactes », ce sont maintenant les informations erronées du 1er rapport concernant la fratrie qui se retrouvent, non sans ironie, diffusées par la presse de plusieurs pays !

70 ans plus tard, un scoop de dernière minute :
le mystérieux correspondant de Morez enfin identifié !

La réponse à l’interrogation concernant le « Correspondant Particulier » de Morez arrive au moment de la relecture de ces lignes. En effet – suite à l’expertise et aux premières recherches de Julien Gonzalez, grâce à la collaboration de Corine, fille des époux Genillon, puis enfin la consultation d’archives de presse à Dole et Dijon menée de concert avec Julien – nous venons de retrouver l’identité du mystérieux correspondant de Morez. Surprise de taille puisque le journaliste n’est autre que Jacques Mandrillon (1930-1979), dit « Jacky », cousin germain de l’institutrice, par ailleurs figure charismatique et journaliste influent, devenu même un temps chargé de mission au ministère de l’Agriculture. Ami de Bernard Clavel, « Jacques Mandrillon était aussi et peut-être surtout un poète ». Avant de devenir le patron de la rédaction du Progrès pour le Jura, « il avait fait ses premières “armes” comme correspondant des Dépêches à Morez, ville dont il était originaire » [35] et assura à ses débuts « la chronique locale pour plusieurs quotidiens régionaux » [36]. Il est donc bien à ce titre l’auteur du tout premier article des Dernières dépêches sur le « Martien » de Prémanon, de même que de ses diverses reprises (La Bourgogne républicaine et Le Comtois), et enfin des papiers se référant, et pour cause, d’une correspondance de Morez (Le Bien public, les deux articles de L’Est républicain et celui d’Ici Paris), assurant ainsi une renommée régionale et nationale à l’affaire.

Les enquêtes “à froid” des ufologues

Grâce aux enquêtes et contre-enquêtes des ufologues (de novembre 1954 à 1979), nous allons maintenant voir comment, dès novembre 1954, une fois la fièvre médiatique retombée, un autre regard va finir par émerger avec le point de vue des acteurs concernés, éclairant ce fait divers d’une toute autre lumière. Cette période s’étend jusqu’en 1979, époque où, indépendamment l’un de l’autre, Yves Bosson et Jean-Pierre Rospars, les auteurs du présent article, commencent eux-mêmes à s’intéresser au cas de Prémanon.

Le groupe Cosmos de Genève : l’enquête oubliée

À Genève, le groupe Cosmos, l’une des premières associations d’ufologues, envoie le 14 novembre 1954 deux de ses enquêteurs en mission dans le Haut-Jura. Leur rapport [37] de trois pages est des plus instructif. Extraits :

À Morez, « Indifférence complète des personnes contactées. On ne croit guère là aux soucoupes volantes. » À Prémanon, « Nous avons demandé au douanier (en permanence dans la région), il n’a pas été sur les lieux. Toutefois, il a ouï-dire que Raymond aurait parlé à un homme bizarre qu’il appelle “fantôme d’acier”. Selon ce douanier, il serait question d’un arbre calciné et non d’un porte-drapeau [le fameux mât de la colonie de vacances]. Il nous a remis le journal Radar dans lequel il y a une photo de cet arbre calciné (le poteau). L’institutrice et son mari étaient absents ». À la ferme du mont Fier, les enquêteurs rencontrent Raymond et son oncle. Ils relèvent que « le frère du fermier, (…) nie complètement l’existence des soucoupes volantes et il ajoute que le petit aurait menti aux journalistes et à la police. Raymond étant présent, il a confirmé les dires de son oncle. (…) Cette histoire émanerait d’après [les parents] tout simplement d’une rédaction (composition) que l’enfant devait faire pour l’école. [L’oncle] a déclaré et confirme que cette affaire a pris de l’ampleur à cause de la maîtresse qui a pris au sérieux le récit de l’enfant. Le petit Raymond nous certifie qu’il n’a jamais rien vu (il dit qu’il a rêvé). […] À la question : peux-tu me dire la forme de cette soucoupe volante, il répond “il n’y a pas de forme puisque je n’ai rien vu”. Comment as-tu décrit le “fantôme d’acier” : comme un morceau de sucre, répond-il. Tout au long de l’après-midi, il nous affirme qu’il n’a rien vu, alors nous lui posons la question, pourquoi as-tu dit aux gendarmes que cela existait ; il répond : parce que je l’avais dit à ma maîtresse !!! Qu’as-tu montré comme trace aux gendarmes : il répond ironiquement, c’étaient des traces de pieds de vaches. Pourquoi ta petite sœur s’est-elle cachée dans la grange : ce n’est pas vrai dit-il, la grange était fermée. As-tu réellement lancé des pierres ; il répond : non, j’ai rêvé que je les lançais. J’ai aussi dit à ma maîtresse que j’avais pris mon pistolet. » À la gendarmerie de Saint-Claude, le capitaine Brustel « est absent, c’est le gendarme Bourgeois qui nous reçoit. Il était présent le surlendemain avec le capitaine au mont Fier. Un point intéressant, les gendarmes ont remarqué des traces en forme de couronne [d’herbe foulée] d’environ 3 m 50 de diamètre sur une largeur de 50 cm environ. Quant aux trous, les gendarmes prétendent que ce serait plutôt comme dit le petit Raymond, des traces de bétail. La première impression de la gendarmerie est que le petit Raymond n’a pas froid aux yeux et il nous confirme ce que nous savons déjà. ».

Découvert par Yves en 1979 à l’occasion de la sauvegarde des archives du groupe Cosmos, ce rapport d’enquête n’avait alors jamais été publié. La démarche du groupe d’ufologues présente plusieurs caractéristiques intéressantes : il s’agit d’une enquête de voisinage, la première du genre ; six semaines après les faits, elle se situe après la fièvre médiatique ; enfin, elle n’est pas l’œuvre des journalistes ou des gendarmes, mais d’une troisième catégorie d’enquêteurs : les ufologues. S’agissant de personnes intéressées par les soucoupes volantes, dans le désir d’en vérifier l’existence, on comprend que les deux investigateurs s’en soient trouvés décontenancés : « Il ressort de cette enquête qu’il est extrêmement difficile d’obtenir des renseignements dans ce milieu. Les déclarations sont toutes contradictoires et ne se confirment jamais. Il est difficile de se faire une opinion d’après cette enquête et nous ne pouvons pas dire que la seule trace de cette couronne puisse suffire à prouver l’atterrissage d’une soucoupe volante ».

De la devanture des kiosques aux vitrines des libraires

Pendant ce temps, la soucoupe de Prémanon va quitter la presse pour l’édition. Les pionniers de l’ufologie déjà cités, Jimmy Guieu [38] et Aimé Michel [39], publient chacun leur second livre, respectivement en 1956 et 1958. Une place y est réservée à notre affaire. Guieu se base sur l’enquête d’un autre journaliste de La Bourgogne républicaine du nom de Charles Garreau [40], lui-même pionnier de l’ufologie et futur auteur de plusieurs ouvrages sur la question [41]. De son côté, Michel reprend l’enquête de Garreau et les articles de la presse nationale dont il a connaissance professionnellement grâce à l’Argus du Service de Documentation de la future ORTF [42]. Tout à la fois sensible, beau et touchant, le passage de son livre intitulé « Prémanon ou l’innocence » a profondément marqué les esprits : « L’affaire de Prémanon [est] la plus poétique assurément de toute l’histoire des Soucoupes Volantes. Si quelque jour on fait un musée de l’innocence, une place attendrissante y sera réservée, j’espère, au pistolet à fléchettes du petit Raymond (…) ». L’innocence des enfants devient même un argument en faveur de la réalité des soucoupes volantes.

Une forme de consécration pour le petit village de Prémanon, désormais connu par les ufologues du monde entier. Notoriété ensuite confirmée avec deux livres parus aux États-Unis [43] de l’astrophysicien franco-américain Jacques Vallée, autorité mondiale en matière d’ovnis, qui inspira Steven Spielberg pour le rôle du bien nommé Lucien Lacombe, le personnage principal du film Rencontres du 3e type interprété par François Truffaut. Prémanon est même sélectionné pour le célèbre catalogue international de près d’un millier de cas d’atterrissages d’ovnis publié dans le second livre de Jacques Vallée (cf. cas n° 160).

Le canular des ufologues dissidents

En 1979, Gérard Barthel et Jacques Brucker, deux ufologues devenus sceptiques quant à la réalité des ovnis, publient La Grande peur martienne [44], un ouvrage se voulant une réfutation de la vague de soucoupes de 1954. Ils n’ont aucun mal à revisiter des affaires peu ou mal enquêtées, comme Prémanon, pour en proposer des explications triviales, se contentant souvent d’informations obtenues par téléphone, sans vérifications particulières. Au cours de leur enquête menée en 1978, ils prétendent avoir retrouvé Raymond et son père. Ils concluent en ces termes les six pages consacrées à Prémanon :

« (…) Précisons que l’institutrice avait demandé les jours précédents aux enfants de réfléchir aux histoires de « Martiens » qui défrayaient l’actualité de l’époque. (…) Le fait que Madame Genillon ait sous-estimé l’imagination des enfants lorsqu’elle leur a demandé de réfléchir sur le sujet des « Martiens » fournit la clef de toute l’affaire, l’esprit inventif des gosses avait fait le reste. Quelques mètres carrés d’herbes foulées par des animaux, un piquet à l’écorce éraflée, par n’importe quoi du reste, et nous étions en possession d’un des cas les plus solides de la littérature ufologique. (…) Un canular bien monté (…) des gamins nous ont tendu un traquenard, nous [les ufologues] sommes tombés dedans. Un point c’est tout ! » !

Ajoutons que G. Barthel et J. Brucker n’avaient pas connaissance du rapport du groupe Cosmos puisque c’est en 1979, année de la parution de leur ouvrage que nous l’avons découvert. On notera la convergence des deux enquêtes, mais également leurs divergences : rédaction scolaire pour Cosmos ; influence de la maîtresse sur ses élèves, canular et traquenard pour Barthel et Brucker… les mots sont forts !

En faisant appel à un canular imaginaire, prétexte destiné à masquer leur propre incompétence, les deux ufologues dissidents ont en réalité lancé une fake-news : certains de ceux qui croyaient dur comme fer au métal de la soucoupe de Prémanon pensent désormais que l’affaire « n’est plus qu’un canular »…

Nos propres enquêtes

À distance avec le GEPAN (1978–1980)

En 1977, sous l’impulsion du Ministère de la Défense, a été créé au sein du Centre National d’Études Spatiales, le CNES, un Groupe d’Études des Phénomènes Aérospatiaux Non-identifiés, le GEPAN. À l’époque, Jean-Pierre était jeune scientifique, un concours de circonstances l’a conduit à être collaborateur extérieur de ce groupe d’étude. Un des objectifs qui avait été assigné au Groupe par le Conseil scientifique qui le chapeautait était de réaliser une série d’enquêtes de terrain sur des observations d’ovnis significatives. Il est remarquable que le cas de Prémanon avait alors été sélectionné sur la base des deux rapports de gendarmerie avec une douzaine d’autres. Des contacts avaient été pris avec les brigades des Rousses et de Saint-Claude, de même qu’avec l’institutrice. Finalement l’enquête n’avait pas eu lieu en raison des conditions météos durant l’hiver 1978 et de la dispersion des protagonistes.

En 1980, Jean-Pierre prend connaissance des deux rapports de gendarmerie et de l’entretien du GEPAN avec l’institutrice rejetant en 1978 tout idée de canular (des déclarations très proches des longs entretiens qu’elle accordera à Yves de 1985 à 1991). Ce qui fait tout l’intérêt de la démarche du GEPAN, ce sont également les tentatives de contacts téléphoniques des gendarmes Dubois et Brustel, signataires des deux rapports de gendarmerie. Sous la direction de Jean-Pierre, la secrétaire du GEPAN parvient à les localiser, à converser avec le premier et l’épouse du second : refus net des deux gendarmes en retraite de recevoir les enquêteurs du GEPAN et de mobiliser des ressources à cette fin.

Sur le terrain (1984–1991)

De son côté, Yves, lors de son enquête sur place, a eu la chance de retrouver pratiquement tous les autres acteurs de cette affaire et a mené dix-huit entretiens, parfois suivis sur plusieurs années : l’institutrice et son mari, Raymond et sa sœur Janine, les trois fils de feu le capitaine Brustel, ainsi que Claude Comte (1936-2000), l’enquêteur de Cosmos, Louis-Albert Zbinden, Charles Garreau, Raymond Vuillermoz (1921-2008) – l’un des trois gendarmes ayant participé à l’enquête officielle –, ou encore Julien Prost (1905-1988), maire de Prémanon à l’époque des faits. Le résultat de ces investigations fera l’objet de deux publications, en 1992 et 1993 [45].

Pour l’essentiel, l’histoire fut bien déclenchée par une rédaction scolaire, mais à thème libre, sans sujet imposé ni cours sur les Martiens, comme le précise Raymond lors de l’entretien de 1991 : « c’était un texte libre. Il y a deux possibilités dans les textes, soit on mettait ce qui se passe à la maison, alors les parents n’aimaient pas toujours, ou soit on inventait un texte de pure fiction, et là c’était un texte de pure fiction. » Raymond n’avait jamais entendu parler de soucoupes ou de Martiens. Fils de paysans, son référentiel était tout autre : « On habitait à côté d’un berger qui s’occupait de troupeaux d’une ferme suisse et c’était la transhumance d’hiver, c’est-à-dire que les troupeaux devaient descendre la montagne et retourner en Suisse –, alors, si je me souviens bien, j’ai inventé une histoire selon laquelle ce berger suisse nous aurait fait peur, mais je dis bien je l’ai inventée, bon on a demandé un texte libre, on invente ce qu’on veut. […] Je sais que le berger en lui-même, avec sa grande cape, pouvait avoir l’allure d’un fantôme, alors il est possible que j’aie parlé directement du fantôme [dans la rédaction], c’est très possible. Mais dans mon esprit, même si je ne l’ai pas marqué, c’était lié au berger. Quoiqu’il en soit, ce dont je suis absolument certain, c’était une invention de mon esprit. » Il précise : « Je pense que ce berger vivant seul, venait de temps en temps nous voir. Avec sa grande cape, [il] pouvait avoir l’allure d’un fantôme. Il est évident qu’à partir de ceci on pouvait broder l’histoire du fantôme […]».

Le récit du journaliste d’Ici Paris du 11 octobre 1954 s’adapte parfaitement à ces déclarations : «Depuis quelques heures déjà, les troupeaux du pâtre suisse avaient traversés la cour de la ferme des Romand en trombe, pour gagner une pâture proche.[…] Le pâtre suisse était à la maison, et Raymond voulut sortir. […]». L’existence attestée du berger donne ainsi du crédit aux propos de Raymond en l’ancrant dans une réalité indépendante.

Quant à Mme Genillon, elle explique en 1985 dans quelles circonstances elle a recueilli les premiers propos des enfants : « Je leur avais donné un sujet libre et[…] son frère et ses sœurs […] m’ont raconté la même scène[…]sous une forme un peu différente». En 1991, elle ajoute : « Oh, vous savez, a priori, comme ils avaient trois témoignages différents à peu près sur le même sujet, j’étais tenté de les croire. Ils ont pu aussi jouer, faire une farce, quoi… » C’est ensuite M. Genillon, son époux, intéressé, qui a donné de l’importance au récit.

En 1991, Raymond relate ce moment décisif de la formation du fait divers : « J’ai écrit ce texte [la rédaction] qui apparemment a intéressé le mari de l’institutrice. Alors, je ne sais pas s’il était journaliste à ce moment-là, mais il était très bien informé en ce qui concerne ce que l’on appelle les ovnis. Et il est venu me voir et il m’a demandé ce que j’avais vu. Bon, j’ai dû lui répéter plus ou moins la même chose. Il m’a peut-être même suggéré : est-ce que tu n’aurais pas vu ceci, pas vu cela et à 12 ans, on peut facilement être impressionné par le mari de son institutrice. J’ai continué à dire oui, oui ! T’as vu ceci ; j’ai dit oui, oui, et de fil en aiguille s’est bâtie une histoire comme quoi j’avais vu un ovni ou un morceau de sucre et je lui aurais tiré dessus avec une fléchette. Et j’ai peut-être inventé l’histoire du morceau de sucre, c’est possible. Si c’est moi qui l’ai inventée ou si on me l’a suggérée, je ne me rappelle plus. Étant enfant, je n’en prévoyais pas les conséquences. J’ai commencé à comprendre lorsque des journalistes sont venus et il est bien évident, que lorsque l’on est enfant, lorsqu’on a dit une chose une fois, une fierté de l’enfant, on ne veut pas se rétracter. Bon, on a dit ça à l’institutrice, on a dit ça à son mari, on ne veut plus changer et on continue de la raconter plus ou moins de la même façon. Alors, malheureusement, beaucoup de gens s’imaginent que la parole des enfants, c’est une parole d’évangile, c’est pour ça qu’il faut quelquefois se méfier, les enfants affabulent énormément et j’étais de ceux-là à ce moment-là. »

Un récit primitif est en train de se constituer lors de cet échange avec le mari de l’institutrice, c’est-à-dire entre les deux acteurs clés de l’affaire. Il évolue entre le sentiment de l’enfant de se trouver pris au piège de la fuite en avant – que sa « fierté d’enfant » parvient toutefois à contrebalancer – et l’interprétation par l’adulte de cette ébauche de récit – un récit inconsciemment induit par ses propres questions, elles-mêmes orientées selon l’air du temps, à savoir la vague de soucoupes volantes de l’automne 1954.

À l’opposé de celle de Barthel et Brucker, la conclusion de l’article d’Yves de 1993 était qu’« il n’y eut donc aucune intention délibérée de mystifier quiconque dans cette affaire : ni de la part des journalistes, ni des gendarmes, ni de l’institutrice. Tous les acteurs ont chacun apporté une pierre à l’édifice, sans préjuger du résultat final, et personne n’est en position de pouvoir en revendiquer la responsabilité. »

Nos compléments d’enquête (2019–2024)

Aucun élément nouveau ne sera à signaler pendant le quart de siècle suivant. En 2019, suite à une correspondance nourrie, les deux auteurs du présent texte décident de rouvrir le dossier. C’est l’occasion d’un complément d’enquête [46] lors duquel une vingtaine de nouveaux entretiens seront conduits, de même qu’une nouvelle recherche d’archives focalisée sur la presse locale [47]. Enfin, les derniers éléments restés en marge de l’affaire seront examinés in situ.

Une « étrange » lumière rouge

Pour comprendre l’origine de cette lumière rouge, il est nécessaire de consulter une carte géographique ou de gravir le mont Fier (1282 m), d’où une vue imprenable est offerte sur la combe. Cette dernière est habitée par quatre fermes, toutes espacées de 200 m les unes des autres, disposées le long d’un axe ouest-est. Vue depuis la ferme familiale, il se trouve que la direction de la lueur rouge indiquée par les enfants est précisément celle de la ferme la plus proche (colonie de vacances d’Autun). Dès lors, comment s’étonner de la présence d’une banale lueur dans la direction de la seule source d’activité humaine visible dans la combe, à savoir celle de la ferme voisine ? Raymond, répondant toujours par l’affirmative aux questions des adultes, a très bien pu faire référence au souvenir d’une lumière relative à la ferme voisine en pointant sa direction aux gendarmes.

Un énigmatique poteau vaguement écorcé

Nous avons pu documenter la présence de divers poteaux dressés à cette époque autour de la colonie, l’un d’eux ayant pour fonction de hisser un drapeau aux couleurs de la colonie (le « mât des couleurs »). Grâce aux photos des magazines Semaine du monde et Radar, il nous a été possible de déterminer l’emplacement du poteau photographié, comme situé au bord du chemin des Maquisards menant à Prémanon, à la hauteur de la façade sud de la colonie de vacances. Son usage en revanche n’a pas pu être déterminé. Tout au plus, peut-on penser, au vu de sa situation, qu’il était en rapport avec la route, la parcelle attenante ou la colonie de vacances.

Le poteau en question pourrait être un bois sec dont l’écorce se serait naturellement détachée – d’ailleurs en trois endroits distincts, ce qui rend cette hypothèse la plus probable (sans exclure toutefois d’autres pistes, comme l’écorçage dû à un animal avec ses bois – ou ses sabots lorsque l’arbre abattu est au sol – ou encore lors du transport du tronc).

Origine des traces au sol

Nous prenons ici en compte la zone photographiée par le journal Radar qu’une reconstitution a permis de situer sur le terrain et qui correspond aux descriptions des acteurs de l’époque [48]. Encore actuellement, un troupeau de vaches suisses occupe les parcelles de la combe en périodes d’estive. Prenant connaissance de la description des traces relevées par les gendarmes, Bernard Conry, le berger qui en a aujourd’hui la charge, a spontanément reconnu celles d’une vache se couchant – le plus souvent sur son côté droit, occasionnant ainsi un écrasement typique de l’herbe dans l’autre sens, à l’inverse des aiguilles d’une montre.

Il aurait pu également s’agir d’un autre animal ou d’un effet conjugué du vent et de la pluie ; si l’on considère toutefois que les traces étaient situées sur la « piste de bovins » évoquée par Raymond Brustel, le plus probable est que la couronne (sans doute partielle) d’herbe écrasée corresponde à la trace occasionnée par un bovin se couchant au sol.

Quant aux quatre trous, également décrits dans le second rapport de gendarmerie, ils correspondent très précisément à des traces de pas de bovins, jusqu’aux trois ergots mentionnés par les témoins, en effet « sûrs », du capitaine Brustel. Il suffit pour s’en convaincre de consulter la littérature, les experts que sont les fermiers, ou encore d’examiner les traces que l’on peut toujours relever à certains endroits de la combe, après le passage des bovins. En effet, selon la composition, l’humidité et la résistance d’un terrain susceptible de varier ponctuellement d’un endroit à l’autre, en fonction également de la pression au sol exercée par les sabots fins et saillants des bovins (selon le poids de l’animal, sa vitesse de marche ou de course), le passage d’un troupeau peut occasionner ce type de trous. Pour en avoir repérés à divers endroits de la combe, il est exact que ces trous évoquent ceux de piquets (de section triangulaire) enfoncés au sol et disposés aléatoirement sur le terrain. Rien qui ne puisse donc correspondre précisément à une piste de pas d’animaux telle que l’on imagine, formée d’une suite ininterrompue d’empreintes régulièrement espacées les unes des autres, comme c’est le cas par exemple lors du passage d’animaux sur la neige. Voilà sans doute la raison pour laquelle ces traces ne sont pas reconnues comme étant des empreintes de pas de bovins et interpelle à juste titre l’observateur, le convainquant qu’il s’est bien passé quelque chose d’inhabituel à cet endroit !

Soixante-dix ans plus tard, nos conclusions, selon lesquelles les traces attribuées à une soucoupe volante sont sans doute celles d’un troupeau de bovins, rejoignent les explications données par Raymond, en 1954 déjà, en 1991 ensuite: « dans ce champ, entre le moment où j’ai raconté mon histoire et le moment où les journalistes sont venus, il est passé un troupeau de vaches suisses, c’est-à-dire ces troupeaux de transhumance et il y a eu des dizaines de vaches qui sont passées dans ce champ, alors on peut se poser la question, comme le disaient mes parents, comment pouvez-vous retrouver des traces de soucoupe volante dans un champ qui a été piétiné ? Ce qui fait que c’est absolument aberrant ».

L’identité du « Martien »

Dernière énigme : le Martien ! Nous avions établi en 1991 qu’un pâtre suisse en était à l’origine. Nous savons désormais, grâce aux témoignages de Guy Marchand, un ancien colon devenu moniteur de la proche colonie de vacances [49] et de Bernard Conry, le berger déjà cité, que le pâtre suisse, devenu successivement fantôme et Martien, répondait au patronyme de Morel et au prénom de Fernand.

Armé d’un bâton, menaçant de tirer des cartouches de gros sel à la carabine, s’occupant de contrôler les faits et gestes de tout un chacun en vue de faire respecter l’intégrité des cultures et des pâtures, Fernand Morel voulait notamment empêcher les jeunes de la colonie de vacances de « patasser » [50] les foins avant de les faucher ! Surnommé pour cette raison « Grain de sel » ou « la Fouine », ce pâtre avec sa grande cape inspirait la crainte dans la combe du mont Fier. Il n’est donc guère surprenant que Raymond se soit inspiré de cette figure si particulière pour la transformer en fantôme-qui-fait-peur dans sa rédaction scolaire à thème libre.

Contribution à l’étude d’un fait divers

Trois principaux acteurs au caractère affirmé

Raymond, l’initiateur de l’affaire

Écolier âgé de 12 ans à l’époque des faits, devenu chercheur en neurobiologie, il est l’auteur de la rédaction qui déclencha tout. Après la fièvre médiatique de 1954, il ne s’est jamais contredit dans ses déclarations. Figure attachante et intègre, Raymond est apparu dès son plus jeune âge comme une forte personnalité, capable de tenir tête aux adultes, intelligent et doté d’une vive imagination [51], ce que sa carrière ultérieure confirmera. Cela explique en partie le tour pris par les événements en 1954. S’il n’était pas entré dans le jeu des adulte ou s’était rétracté [52] l’histoire aurait pris un autre cours.

Le mari de l’institutrice, l’inventeur de l’affaire

Époux de l’institutrice, Jacques Genillon (1927-2019), dit Jacquie, ancien résistant, fut avocat au barreau de Lons-le-Saunier (spécialisé dans le domaine militaire), Chevalier de la Légion d’honneur et Chevalier de l’Ordre national du mérite. Pendant la Seconde guerre mondiale, il participa très jeune au sabotage de la gare de Lons, acte héroïque permettant d’éviter l’envoi supplémentaire de troupes allemandes pour contrer le débarquement de Normandie. C’est lui qui recueille le récit de Raymond, puis contacte la presse – le photographe du Progrès Daniel Ribatto ainsi que le journaliste Jacky Mandrillon des Dernières dépêches – et alerte la gendarmerie des Rousses, en la personne de Raymond Vuillermoz, chef de brigade. Il présente Raymond aux journalistes et organise le reportage sur place des collaborateurs de l’agence de presse Coordination, en particulier la séance de prises de vue dans son propre bureau de l’appartement de fonction de son épouse à l’école du village. Il guide les journalistes sur place (Les Dernières dépêches, Le Progrès, Radar, Semaine du monde) et n’hésite pas à prendre la pose à deux reprises. Décrit par son entourage comme ayant une forte personnalité, un caractère très affirmé, possiblement en rapport avec son passé de très jeune résistant, on dirait aujourd’hui qu’il est un lanceur d’alerte, pointant l’intrusion de ce « quelque chose » d’inconnu dans notre environnement…

Le capitaine Brustel, le découvreur des traces

Chevalier de la Légion d’honneur, Croix de Guerre 1939-1945, le capitaine de gendarmerie Raymond Brustel (1908-1987) dirigea la brigade de gendarmerie de Saint-Claude (Jura). Combattant de la Seconde guerre mondiale, à la tête de son escadron 8/4 de Montbrison, le capitaine Brustel participa avec le général Louis Beaudonnet (1923-2014) à la libération de Strasbourg, lors de combats héroïques en janvier 1945 à Kilstett (Bas-Rhin). La carrière de Raymond Brustel se poursuivit à Saint-Claude de 1946 à 1957 avant de devenir commandant, puis conseiller général à Pinols, en Haute-Loire (1964-1982). Très connu dans le Haut-Jura, il affichait dans son travail une grande proximité avec les gens, adepte qu’il était des sociabilités de l’époque. Ses trois fils comme son petit-fils n’ont jamais entendu parler à la maison de l’épisode de la soucoupe volante. « En réalité, mon père construisait sa carrière, il n’y a que ça qui l’intéressait », nous précise Roger, le fils aîné.

Une suite de contingences

À l’instar d’autres faits divers, célèbres ou tragiques, c’est, on l’a vu, une exceptionnelle suite de contingences qui a permis l’émergence de l’affaire qui nous intéresse ici, par la combinaison de multiples éléments imbriqués les uns à la suite des autres :

• le Traité des Dappes de 1862 [53], l’estivage des vaches suisses dans les champs français, un pâtre à la psychologie particulière,

• un devoir scolaire à effectuer et l’esprit imaginatif d’un enfant fier, refusant de se rétracter,

• une jeune institutrice pour laquelle le récit fictif de l’enfant devient l’expression d’une réalité vécue,

• l’intérêt du mari de cette dernière, lequel dispose tout à la fois du bagage culturel permettant une autre lecture du récit de l’enfant et du relationnel aboutissant à l’intervention des médias et des gendarmes,

• l’intervention du capitaine de gendarmerie,

• la crédibilité que l’intervention officielle de la gendarmerie confère au récit,

• la sélection de diverses traces dans l’herbe, sur le sol, sur un mât,

• l’association desdites traces au récit de Raymond,

• la vague de soucoupes de l’époque,

• l’intérêt des médias pour ce genre d’affaires défrayant la chronique,

• le mutisme de la famille,

• l’incrédulité des habitants du village,

• un environnement social favorable.

De la ruralité à la modernité : une double transformation

On a vu que le Martien résulte de la transformation par les adultes de la représentation imaginaire du fantôme, ce dernier étant inspiré à l’enfant par la figure réelle du pâtre suisse.

La première transformation est donc à mettre au crédit de l’enfant, lequel emprunte délibérément la figure ordinaire du berger issue de son milieu social pour la transformer en fantôme – une représentation imaginaire destinée à son devoir scolaire.

La seconde transformation est celle – tout à la fois involontaire, sociale et collective – des adultes. Ces derniers s’approprient le récit de l’enfant afin de le rationaliser, de lui donner du sens. La figure archaïque du fantôme s’estompe pour laisser place à une interprétation dans l’air du temps, celle du Martien, image de la modernité, tout à la fois du temps présent et du futur.

C’est ainsi qu’en quelques heures à peine, à travers le corps social et sans que personne ne puisse préjuger du résultat final, le pâtre – cette figure de la ruralité –, se métamorphose en Martien débarqué de sa soucoupe volante, reflet des voyages interplanétaires en devenir [54].

Conclusion

Un récit collectif relevant d’un processus créatif original

À travers l’affaire du « Martien » de Prémanon, c’est un processus créatif original qui est apparu et que nous avons tenté de documenter. Si ce mécanisme complexe de production d’un récit collectif est ici relatif à la controverse martienne, nul doute qu’un processus semblable (qu’il pourrait être parfois utile d’identifier en temps réel) est également à l’œuvre dans la production d’autres types de récits collectifs, mobilisant l’écosystème de la presse – souvent en interaction avec celui des forces de l’ordre.

Texte © 2024 Yves Bosson & Jean-Pierre Rospars


Le présent texte est une pré-publication d’un article à paraître dans le bulletin Les Amis du Vieux Saint-Claude. Reproduction interdite, tous droits réservés.


Liens

Prémanon sur le site du GEIPAN

Notre article de 1993 en ligne

Remerciements

Toute notre gratitude et nos remerciements vont aux personnes et organismes suivants pour leur aide, informations et assistance au cours de ces cinq dernières années :

Amis du Vieux Saint-Claude (AVSC) et Véronique Blanchet-Rossi • Archives Départementales de la Côte d’Or et Evelyne Chudziak • Archives Départementales du Jura • Archives Municipales de Saint-Claude • Bataillon de Gendarmerie de Haute-Montagne (BGHM) • Philippe Baudouin • Bibliothèque Municipale de Lyon et Christelle Petit • Jean-Yves Bizot • Alain et Guy Brustel • Adjudant-chef François Colin à la brigade de gendarmerie de Saint-Claude • Gilles Munsch, Jean-Claude Leroy et les membres du Comité nord-est des groupes ufologiques (CNEGU), au Val d’Ajol (88) • Bernard Conry • Olivier Cousinou • Mary-Pierre Desvignes au GEIPAN, CNES de Toulouse • Raymond Duplan • Corine Genillon • Julien Gonzalez • Claude Jacquinot • Nolwenn Marchand et la Mairie de Prémanon • Bruno Mancusi • Guy et Michèle Marchand • René Masson • Claude Maugé • Bertrand Méheust • Thierry Pinvidic • La rédaction du Progrès de Saint-Claude • Franck Roncaglia au Musée de la gendarmerie à Melun • Gilles Durand et Raoul Robé du SCEAU – Archives OVNI à Brunoy • Mélanie Blicq au Service Historique de la Défense (SCAID / SHD) de Châtellerault • Roger Vandel • Dominique Vuillet • Sans oublier Raymond et tous les acteurs involontaires de cet improbable fait divers.

Notes

[1] « Rapport de l’adjudant-chef Dubois, commandant provisoirement la section de gendarmerie de Saint-Claude, sur l’apparition d’un engin étrange » – Pièce n˚ 29/4 du 29-09-1954, folios 81 et 82 du registre N/4 de la brigade de Saint-Claude.

[2] « Près des Rousses – Deux enfants lapident une “soucoupe volante” qui s’était posée dans la cour de la ferme », Les Dernières dépêches–La Franche-Comté républicaine (Dijon) & La Bourgogne républicaine (Dijon), tous deux en p. 4 de l’édition du 30-09-1954. Au moment où nous rédigeons ces lignes (août 2024), l’historien Julien Gonzalez retrouve cet article à la Bibliothèque de Dole : s’il est commun aux deux éditions, seul celui des Dernières dépêches (édition jurassienne de La Bourgogne républicaine) était disponible dans le département du Jura. À ce titre, c’est celui que nous retenons.

[3] Jimmy Guieu, Les Soucoupes volantes viennent d’un autre monde, Paris, Fleuve Noir, 1954.

[4] Aimé Michel, Lueurs sur les soucoupes volantes, Tours, Mame, 1954.

[5] « Rapport complémentaire du Capitaine Brustel, commandant la section de gendarmerie de Saint-Claude, sur l’apparition d’un engin mystérieux à Prémanon, Jura » – Pièce n˚ 30/4 du 01-10-1954, folios 82 et 83 du registre N/4 de la brigade de Saint-Claude.

[6] « Soucoupes… volent ! Les passagers de la soucoupe de Prémanon ressemblent à des morceaux de sucre », Le Progrès (Lyon) du 01-10-1954, p. 3. (Titre de renvoi en « une » du journal : « Offensive des soucoupes volantes (…) Porteuses de créatures en tôle et parallélépipédiques dans le Jura. En page trois : les soucoupes dans notre région »).

[7] Le cliché (non crédité) est probablement de Daniel Ribatto (1926-1981), photographe installé au 45 rue du Pré à Saint-Claude – tout à côté de la rédaction locale du Progrès, au n° 39 de la même rue (sur la presse sanclaudienne, voir Véronique Blanchet-Rossi, « Presse locale et imprimeries à Saint-Claude XIXe-XXIe siècles », Les Amis du Vieux Saint-Claude n° 46, 2023, pp. 59-74).

[8] Pour certains commentateurs, il s’agit d’un problème lié à l’atterrissage de la soucoupe volante : « On suppose que l’engin, en se posant, a éraflé le mât : il s’en serait alors écarté de quelques mètres avant de s’immobiliser ». Pour d’autres, cela concerne au contraire un problème lié à l’envol : « En décollant, la boule de feu aurait heurté ce sapin et calciné son écorce ».

[9] « Quand les “Martiens” ont peur des enfants », Le Comtois (Besançon) du 01-10-1954, p. 2.

[10] « Une “soucoupe” se serait posée dans le Haut-Jura », L’Est républicain (Nancy) du 01-10-1954, p. 7.

[11] « Une soucoupe volante s’est-elle posée sur le Haut-Jura ? », Le Bien public (Dijon) du 01-10-1954, p. 3.

[12] « Une soucoupe volante dans le Jura ? », Le Dauphiné libéré (Grenoble) du 01-10-1954.

[13] « Premières hostilités entre les terriens et les soucoupes volantes… Deux enfants de Prémanon (Jura) jettent des pierres sur un engin qui avait atterri dans une cour de ferme », Le Parisien libéré du 01-10-1954.

[14] « Les “Martiens” en vacances (suite) – Une “soucoupe” à trois pieds dans le Jura », Paris-Presse du 02-10-1954.

[15] « Soucoupe Volante sur le Haut-Jura ? », L’Indépendant du Haut-Jura (Morez) du 02-10-1954.

[16] « Un engin mystérieux aurait atterri dans le Haut-Jura – Devons-nous craindre dans les mois à venir une attaque des Martiens ?? », Le Courrier (Saint-Claude) du 02-10-1954, p. 2.

[17] « Aussi [les] déclarations [des enfants] ont-elles été enregistrées avec le plus grand sérieux et transmises comme il se doit aux autorités compétentes. »

[18] « À propos des soucoupes volantes », Le Progrès (Lyon) du 04-10-1954, édition du Jura, p. 5.

[19] « À la frontière – Un engin mystérieux aurait atterri dans le Haut-Jura français », Feuille d’Avis de Neuchâtel du 04-10-1954, p. 5.

[20] « À la frontière – Prémanon – Un engin mystérieux aurait atterri dans le Haut-Jura français », Journal du Jura (Bienne) du 05-10-1954, p. 3.

[21] « Hallucination céleste – Un engin mystérieux aurait atterri dans le Haut-Jura », Journal de Genève du 05-10-1954, p. 6.

[22] « Frontière française – Un engin mystérieux aurait atterri dans le Haut-Jura », L’Impartial (La Chaux-de-Fonds) du 06-10-1954, p. 2.

[23] « “Atterra” in Svizzera un disco volante », Milano Sera (Milan) du 06-10-1954.

[24] « La policia indaga – Un disco volante attaca un bambino », Corriere di Sicilia (Catane) du 07-10-1954.

[25] « 3 children see saucer take off», Egyptian Gazette (Le Caire) du 07-10-1954.

[26] « Soucoupes ! Les Français sont-ils devenus fous ? », Semaine du monde (Paris) du 08-10-1954, pp. 7-8.

[27] « La soucoupe volante de Prémanon », Le Courrier (Saint-Claude) du 09-10-1954, p. 2.

[28] « Soucoupes et cigares volants – Étude des faits et enquête par Maurice Champy », Le Journal de Dôle et de la région (Dole) du 09-10-1954, p. 1. Il s’agit du seul article signé de notre corpus.

[29] « Tandis que son petit frère, les yeux écarquillés, regardait “Le Champ-qui-brûle” Raymond, 12 ans, attaquait, avec un pistolet à flèches, une “soucoupe volante” puis s’enfuyait, croyant voir un fantôme », L’Est républicain (Nancy) du 09-10-1954, p. 7 – seul article signé des initiales de son auteur (« J.M. »).

[30] « Sur le sol de France – Les soucoupes laissent leur empreinte – Jura : on dirait un morceau de sucre », Radar (Paris) du 10-10-1954, p. 11.

[31] Selon la série de 25 épreuves photographiques (env. 18 x 24 cm) portant au dos le tampon « Copyright Coordination » retrouvée en 1990 par les infatigables chercheurs d’archives Raoul et Lionel Robé. Ces talentueuses photographies ont toutes été publiées dans Radar (sans aucun crédit texte ou photo), à l’occasion de la couverture de la vague de soucoupes volantes de 1954. Aujourd’hui sauvegardées par l’association SCEAU – Archives OVNI, elles constituent un précieux témoignage de cette époque.

[32] « Parce qu’un “Martien” l’a embrassé, Raymond (12 ans) – le petit Galilée du Jura – a été corrigé par sa maman… », Ici Paris du 11-10-1954, pp. 7, 12.

[33] « Raymond Romand (garçonnet de 12 ans) : “J’ai bien vu le pilote” », Germinal (Bruxelles), du 17-10-1954, p. 1.

[34] M. Raymond Michaud, 23, rue du Pré, Saint-Claude (Jura) : « Des experts que nous avons consultés se perdent en conjecture sur la nature des visiteurs insolites. Engin, galaxie ou arme secrète, des enfants, avec leurs yeux lavés d’innocence et leur bouleversante ingénuité, ont vu par une étrange nuit de septembre ces passagers du ciel, dont nous finirons bien par connaître un jour le nom. »

[35] « Nécrologie. M. Jacky Mandrillon, directeur départemental du Progrès », Les Dépêches (Dijon) du 19-10-1979. « Quand il est mort, le poète… Affluence recueillie aux obsèques de notre confrère Jacques Mandrillon », Les Dépêches (Dijon) du 21-10-1979.

[36] « Jacques Mandrillon : adieu à un ami », Le Journal de Dôle et de la région du 26-10-1979.

[37] Claude Comte & André Rosset, « Rapport de notre voyage-enquête à Morez, Prémanon et Saint-Claude (Jura), le 14 novembre 1954 ».

[38] Jimmy Guieu, Black-out sur les soucoupes volantes, Paris, Fleuve Noir, 1956, pp. 131-133 (rééd. Omnium Littéraire, Paris, 1972, pp. 150-152).

[39] Aimé Michel, Mystérieux objets célestes, Paris, Arthaud, 1958, pp. 143-150 (rééd. Planète, Paris, 1966 et 1967, sous le titre À propos des soucoupes volantes, pp. 116-119, et Seghers, Paris, 1977, pp. 126-129). Traduction : Flying Saucers and the Straight-Line Mystery, New York, S. G. Phillips, 1958, pp. 90-92.

[40] « Je n’ai pas jugé bon de faire un article moi-même dans le journal car celui du correspondant [Jacky Mandrillon] était condensé mais complet » (entretien avec YB du 14-11-1984).

[41] Sur Prémanon, voir son 3e livre : Charles Garreau et Raymond Lavier, Face aux extra-terrestres, Paris, J.-P. Delarge, 1975, pp. 211-213 (rééd. Le Livre de Poche, 1978, pp. 218-221).

[42] Transmis par A. Michel, ces articles du Parisien Libéré, du Dauphiné et de Presse-Presse ont intégré notre corpus.

[43] Jacques et Janine Vallée, Challenge to Science. The UFO Enigma, Chicago, Henry Regnery, 1966, pp. 170-172 (rééd. Ace Star Book, New York, s.d., pp. 191-193) et Jacques Vallée, Passport to Magonia, Chicago, Henry Regnery, 1968, p. 212. Traduction : Chroniques des apparitions extra-terrestres, Paris, Denoël, 1972, p. 285 (rééd. J’Ai lu, 1974, p. 261).

[44] Gérard Barthel & Jacques Brucker, La Grande peur martienne, Paris, Nouvelles Editions Rationalistes, 1979, pp. 88-93.

[45] Yves Bosson, « Soucoupes françaises et vaches suisses : quelques notes sur l’affaire de Prémanon », Actes des Rencontres de Lyon consacrées au phénomène ovni, Aix-en-Provence, Sos-Ovni, 1992, pp. 4-17 et « Prémanon ou l’innocence : enquête sur un cas au-dessus de tout soupçon » in Thierry Pinvidic (dir.), Ovni, vers une anthropologie d’un mythe contemporain, Bayeux, Heimdal, 1993, pp. 122-145.

[46] Yves Bosson & Jean-Pierre Rospars, « Déconstruction d’un événement ovni : pourquoi Prémanon n’est pas un canular », in Thierry Pinvidic (dir.), Les Savoirs du troisième type – Ovnis et imaginaires de l’espace (en préparation).

[47] Nous avons bénéficié de la fine connaissance de la presse locale et régionale acquise par l’historien Julien Gonzalez.

[48] Les habitants du village attribuent quant à eux volontiers les traces aux activités estivales de la colonie de vacances : « Il s’est avéré que les traces en question correspondaient au mât et aux piquets du marabout que la colonie montait à côté de la maison qui abritait les colons » (souvenirs d’Antoinette Meunier (1930-2023) pour l’association « Les Mots mêlés », 2017) ou à une « petite baraque en tôle » fixée par quatre poteaux, selon le maire de l’époque (entretien avec YB du 16-08-1985). Si aujourd’hui encore René Masson, né en 1930, pense à un marabout situé sur une parcelle voisine (entretien avec YB et JPR du 2-10-2024) – reste que le message implicite des habitants est : « pas de soucoupe chez nous ! ».

[49] La colonie d’Autun était installée l’été dans la ferme la plus proche des lieux. Guy l’avait fréquentée dès l’âge de 7 ans, pour la première fois en… 1954 et ensuite durant 15 ans. Au cours d’une série d’entretiens en compagnie de son épouse Michèle, elle-même très active dans la préservation de l’histoire et du patrimoine prémanonier, l’activité de la colonie de vacances s’en est trouvée richement documentée.

[50] « Patasser » : piétiner, en patois jurassien. Patasser les foins entraine une perte de revenu pour l’agriculteur.

[51] Il « n’a pas froid aux yeux » (gendarme Bourgeois selon le rapport de Comte et Rosset), « imagination débordante » (Robert Gauthier, secrétaire de mairie), « beaucoup d’imagination […], à l’armée on a remarqué son QI exceptionnel » (Mme Genillon).

[52] « […] Ma sœur, plus ou moins certaine, mes parents outrés […] continuaient à répéter que ce que l’on disait était faux. Ils avaient raison, mais leur fils ne voulait pas en démordre. Ça, je reconnais […]. »

[53] Le traité des Dappes de 1862 représente le « contexte pastoral » de l’affaire. Il s’agit de la modification de la frontière par un échange de territoires entre la France et la Suisse, de telle sorte que la route Paris-Genève soit dès lors entièrement tracée sur sol français. Le droit de pacage est lié au traité des Dappes : les troupeaux de vaches suisses sont autorisées à pâturer jusqu’à 10 km à l’intérieur des terres françaises, lors de l’estive de mai à octobre.

[54] L’imaginaire y est fin prêt : 15 ans avant Neil Armstrong, Tintin atteint son objectif sélène ; l’album On a marché sur la Lune de Hergé paraît en 1954 chez Casterman, suite à une prépublication dans le journal Tintin les années précédentes.

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